Un Album photo (30 x 21 cm)

orné des papiers déchirés et des textes

parus dans l'ABC des Renonçants

du Midi illustré N°4.

Antoine (Saint)

Né à Coma (Haute Egypte) en 251, le petit Antoine, quand il fut devenu grand, distribua ses biens aux pauvres et se retira dans les déserts de la Thébaïde. Il n'en fut pas quitte pour autant des visions qui l'obsédaient et durèrent encore quinze années. Celles-ci firent sa célébrité et plus d'un artiste s'acharna à les décrire. Mais il suffit peut-être d'un seul auteur, d'une seule phrase pour mesurer ce que renoncer signifia alors pour lui. La Première Voix que Flaubert fait entendre au Saint dit: « Veux-tu des femmes ? ».

Boulanger (Georges-Ernest) 1837-1891

Le Général Boulanger, baderne capable de servir les intérêts des puissants et de se faire aimer des humbles en même temps, appliqua longtemps, et à la lettre, les techniques des futurs dictateurs. Après s'être fait la main sur les Kabyles et les Cochinchinois, il participa à l'écrasement de la Commune par les Versaillais pour lesquels il reconquit le Panthéon, rien moins que ça. Devenu chef du Parti Nationaliste, penchant tantôt vers les Radicaux, tantôt vers les Monarchistes, il utilisa plusieurs fois l’artifice de la démission en vue de réélection triomphale.

Elvis 1935-1977

En 1959, il eut enfin 24 ans et il faillit se laisser aller. Mettez-vous à sa place. Avec sa tronche, sa dégaine et ses chansons, il avait déjà marqué le siècle. Pas la peine d'affronter les années 60 ! Le mieux était de faire comme James Dean. Disparaître à 24 ans, quelle tentation pour l'idole des jeunes !

Mais Elvis ne pouvait pas copier. Il avait créé un modèle. Il lui fallait innover, dans ce domaine comme dans les autres. Alors il inventa une forme spécifique de renoncement.

Il ne mourut pas. Il ne se cacha pas. Il ne négligea rien (renoncer n'est pas affaire de Je-m'en-foutiste). A vu d'œil, il se transforma. Il laissa un Midi (Tupelo, Memphis) pour un autre (Acapulco, Las Vegas). Il entreprit d'amollir ses mélodies, d'alourdir ses traits, d’engraisser.

Il ne quitta pas un instant la lumière, il vivait, il offrait le spectacle de son renoncement.

Ceux qui l’avaient aimé le haïrent. Et inversement. Certains, parmi les rockers, tentèrent de justifier son attitude, poussèrent même jusqu'à tenter de l'imiter. Mais personne ne songea un instant à l'admirer : comment aurait-on jugé Arthur Rimbaud s'il s’était mis après « les Illuminations », à écrire des vers de mirliton ? Son coup réussit tellement bien que quand il mourut certains dirent « enfin », d'autres jurèrent qu'ils le croyaient déjà mort. La plupart pensait qu'il était très vieux. Mais pas un ne songea à l'usure que fait le travail du renoncement : il avait 42 ans.

Antoine Martin

Lippi (Fra Filippo) 1406-1469

Quand il prononce ses vœux, à l'âge de quinze ans, Filippo Lippi vit depuis longtemps chez les Carmes de Florence où on l'a placé dès sa plus tendre enfance. C'est là qu'il découvre sa vocation de peintre, en regardant Masaccio décorer une chapelle.

Voilà que pour d'obscures raisons, il est obligé de quitter sa communauté, sa seule famille. Il part pour Padoue plein d'amertume. Au moins gardera-t-il l’habit. Quand il revient, on lui ferme, pour son plus grand dépit, les portes du couvent : il a connu de beaucoup trop près les dames de la ville pour mériter de revenir ici.

Commence alors pour Filippo une impossible bataille. Il voudrait à tout prix concilier son attachement à la règle et son goût pour les femmes. Grâce à un fameux coup de pinceau, il parvient un moment à faire passer la pilule. Le voici recevant les bénéfices ecclésiastiques, puis nommé chapelain de Sainte Marguerite à Prato.

Les Madones, hélas, lui sont fatales. Après quelques annonciations, couronnements et autres maternités peints sur le modèle d'une religieuse de l'établissement, il enlève la Vierge, compromettant à, jamais sa carrière religieuse.

L'ex-nonne s'y prend si bien qu'il accepte pour l'épouser d'être relevé de ses vœux.

Le jour de ses noces Lippi prend la rage au ventre, un engagement qui lui coûte plus que tout autre. Ça n'est pas à la chair et tout le tintouin qu'il dit non, c'est au renoncement qu'il renonce.

Uccello (Paolo di Dono, dit) 1397-1475

Paolo di Dono reçut le surnom d'Uccello à cause des oiseaux dont il ornait ses peintures et qu’il peignait encore, à la fin de sa vie, sur les murs de sa chambre.

Ces petites bêtes n'étaient plus alors que les signes répétés de son renoncement aux logiques splendeurs et complications de la perspective qui avaient fait sa fortune.

Il les traçait dans son vieil âge ainsi qu'il avait toujours su le faire. C'était le même dessin qui avait étonné ses camarades d'enfance et il le regardait avec le même émerveillement qu'ils avaient éprouvé jadis. Toute idée de rigueur l’ayant abandonné, il s'en tenait à cette figure simplette dont il souillait même ses études les plus fouillées.

Au dernier jour, il déposa même piaf dans le nid d'une coiffe florentine dont il s'était autrefois éreinté à montrer la structure. Puis s'éteignit, certain que c’était pour cela qu’on se souviendrait de lui.

Windsor (Duc de) 1894-1972

Le big boss des rosbeefs, y'avait qu'un truc qui le bottait : se fourrer à la colle avec une ricaine, divorçaga et tout, pour qui c'est qu'il en pinçait ? Mais voilà-t-y pas que les milords du poulailler y s'y filent pas le train et qu'y se mettent à gueuler que la morue est pas assez à la coule pour être la moukère number one du patelin. Du coup, l'Ed, ni une ni deux, il a tout envoyé aux pelotes. Z'avaient qu'à se dégotter un autre caïd, les brothers. Après, y s'est cloqué un faux blaze, histoire de pouvoir tringler sa gonzesse peinard. Le Duc de Viens, Sors, ou un machin comme ça.

Non mais des fois.

Antoine Martin